En Zambie, les Témoins de Jéhovah et les migrants chinois trouvent un terrain d’entente
Le taxi s’est garé dans l’entrée, avec 10 minutes de retard au rendez-vous. À l’intérieur de la voiture, nous transpirions à cause du mélange de nervosité et du soleil brûlant qui tapait sur le toit de la voiture—un temps typique en Zambie pendant la saison chaude.
« Nous y sommes, comme promis », a déclaré notre chauffeur, Simapuyo. [1] [1] Tous les noms ont été modifiés afin de protéger la vie privée des personnes concernées. « La Salle du Royaume des Témoins de Jéhovah où ils pratiquent leur culte en chinois. »
Témoin lui-même, Simapuyo avait généreusement proposé de nous conduire gratuitement, Zhang Xiu, une personne amie qui m’accompagnait parfois dans mes recherches, et moi-même à la réunion.
Zhang et moi nous sommes précipités dans le bâtiment.
Dès que nous sommes entrés, deux Zambiens se sont levés de leur siège avec ce qui semblait être une réaction de surprise, puis de joie. Avec de larges sourires, ils sont venus nous serrer vigoureusement la main en murmurant « 你好, 你好» (en mandarin, « bonjour, bonjour »), puis nous ont discrètement dirigés vers des sièges au fond de la salle.
Zhang et moi nous sommes assis, sans trop savoir à quoi nous attendre. Les fidèles à proximité nous ont remis le programme de la réunion, imprimé en chinois. Une grande citation figurait en tête du programme : « 耶和华守护侨居的外人 » (Jéhovah protège les résidents étrangers). La congrégation, composée d’une cinquantaine de personnes, presque toutes zambiennes, avait apparemment lu un article sur ce sujet avant la réunion, et un homme à l’avant animait une séance de questions-réponses avec l’assemblée.
Les questions et les réponses étaient en mandarin. La discussion portait sur le nombre croissant d’entrepreneurs chinois et indiens et de réfugiés congolais en Zambie, et sur l’importance de pouvoir parler avec ces étrangers dans leur propre langue.
Au bout d’une heure environ, la réunion s’est terminée et de nombreux fidèles nous ont chaleureusement salués. Avec la 谦虚 (modestie) typique des Chinois, ils se sont excusés pour leur faible niveau de mandarin. Ils nous ont également remis des brochures récemment publiées, disponibles en mandarin et en anglais, intitulées « 偏见有药可治吗 » (Existe-t-il un remède contre les préjugés ?). Les fidèles nous ont expliqué qu’ils s’efforçaient de distribuer ces brochures aux Zambiens et aux migrants chinois, en fonction de la langue de leur public cible.
Alors que Simapuyo nous ramenait chez nous, Zhang et moi avons discuté de notre stupéfaction face à cette expérience. Bien que Zhang ait vécu en Zambie pendant plus de dix ans et moi pendant plusieurs années, aucun de nous n’avait jamais rencontré ni même entendu parler d’une congrégation chinoise comptant des fidèles zambiens, et encore moins d’une communauté entière de Zambiens apprenant le mandarin en partant de zéro pour mener leurs réunions.
Pourquoi les Témoins de Jéhovah en Zambie faisaient-ils tout leur possible pour atteindre les migrants chinois ? Pour le savoir, j’ai commencé à assister régulièrement aux réunions de ces congrégations dans le cadre d’une recherche anthropologique à long terme sur les relations souvent tendues entre les migrants chinois et les Zambiens.
Comme je l’ai découvert au cours des années suivantes de travail ethnographique sur le terrain dans diverses « salles du royaume » des Témoins de Jéhovah, la congrégation que Zhang et moi avons fréquentée n’est qu’un exemple parmi d’autres d’un phénomène en pleine expansion. Malgré les incidents de xénophobie grave à l’encontre des migrants chinois en Zambie, les Témoins de Jéhovah de ce pays et d’autres pays africains maîtrisent le mandarin et fondent des congrégations exclusivement mandarines afin d’accueillir les migrants chinois dans leur religion. Leur taux de conversion reste faible, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’ont pas d’impact.
LA PRÉSENCE CHINOISE CROISSANTE EN ZAMBIE
Comme presque toute l’Afrique, la Zambie a connu un afflux massif de prêts, d’investissements capitalistes et de migrants en provenance de Chine au cours des deux dernières décennies. Depuis 2000, la communauté de migrants chinois dans le pays est passée de presque rien à 100 000 personnes, selon certaines estimations, concentrées dans les zones urbaines du centre et du nord-ouest de la Zambie.
La plupart des migrants chinois viennent en Zambie pour créer leur propre entreprise ou pour travailler comme cadres (généralement d’employés zambiens) dans des entreprises existantes appartenant à des Chinois. Ces entreprises gérées par des Chinois sont désormais courantes dans presque tous les secteurs et à toutes les échelles de l’économie zambienne, de l’exploitation minière et de la construction à l’agriculture et au commerce de détail, et des plus grandes entreprises au sommet de l’économie zambienne aux petits commerces familiaux.
Comme je l’ai appris, cet afflux d’investissements et de migrants chinois en Zambie s’est accompagné de tensions et de controverses, et parfois même de terribles actes de violence.
Cette violence se produit généralement dans le contexte de conflits du travail : frustrés de voir leurs revendications pour de meilleures conditions de travail ignorées, des travailleurs zambiens ont recouru à des émeutes ou à des meurtres pour obtenir satisfaction, et des cadres chinois ont tiré sur des foules de travailleurs en grève pour les disperser.
Dans ce contexte, j’ai souvent entendu des Zambiens accuser les Chinois d’être racistes, et bon nombre des expatriés chinois que j’ai rencontrés vivaient dans la crainte de leurs voisins zambiens, cachant leurs maisons derrière de hauts murs et des chiens de garde féroces.
J’ai constaté que ces tensions étaient souvent exacerbées par les différences linguistiques : la plupart des expatriés chinois arrivent en Zambie sans maîtriser parfaitement l’anglais ou toute autre langue zambienne, et apprennent rarement ces langues une fois sur place. Ils s’appuient plutôt sur un pidgin simplifié, mélangeant des éléments d’anglais et de chinois pour communiquer avec leurs employés, leurs clients et leurs voisins zambiens.
Par exemple, au lieu de dire « Est-ce que comme ça, ça va ? » comme on le ferait en anglais standard (zambien), un migrant chinois pourrait utiliser l’expression « bon-oh, pas bon-oh? ». L’expression « vous êtes les bienvenus chez moi » devient « chez moi pareil chez vous ». De nombreux Zambiens m’ont dit qu’ils considéraient cet usage non standard de l’anglais comme un signe de manque d’éducation, ce qui les amenait à douter des qualifications des expatriés chinois pour diriger des entreprises en Zambie.
Les différences religieuses étaient également une source majeure de tension entre les Zambiens et les expatriés chinois. Alors que la grande majorité (95,5 %) des Zambiens se déclarent chrétiens, de nombreux expatriés chinois avec lesquels j’ai discuté au cours de mes recherches sont athées ou méprisent la foi religieuse zambienne.
En développant des congrégations spécialisées en mandarin, les Témoins de Jéhovah zambiens nouent ainsi des relations très différentes avec les migrants chinois de leurs communautés.
LES TÉMOINS EN ZAMBIE
Au début, je ne savais pas grand-chose des Témoins de Jéhovah—mais j’ai fini par être fasciné par leur histoire unique. Les Témoins de Jéhovah sont une branche du christianisme fondée aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. L’engagement extrême du mouvement en faveur de l’évangélisation en vue de l’Armageddon imminent le distingue de nombreuses autres confessions chrétiennes.
Ces enseignements religieux ont fait leur apparition en Zambie au début du XXe siècle, se répandant rapidement le long des routes empruntées par les travailleurs migrants qui reliaient les villages ruraux aux centres urbains industriels émergents de la Copperbelt zambienne et aux mines d’or et de diamants sud-africaines. Aujourd’hui, la Zambie compte plus de Témoins de Jéhovah par habitant que presque tous les autres pays du monde.
Pour en savoir plus sur les recherches de l’auteur, écoutez le podcast SAPIENS: « Les liens entre la Zambie et la Chine».
Un certain nombre de pratiques inhabituelles des Témoins leur ont valu d’être la cible de controverses. Les Témoins rejettent la légitimité fondamentale des nations et de la politique laïques, ce qui signifie qu’ils s’abstiennent de voter, de servir dans l’armée, de saluer le drapeau, de prêter serment d’allégeance, de chanter l’hymne national ou même d’encourager les équipes sportives nationales. Ce rejet du militarisme et du nationalisme a historiquement fait des Témoins la cible de persécutions gouvernementales en Zambie et ailleurs.
Les Témoins ont également été critiqués pour leur adhésion stricte à une interprétation littérale des conceptions bibliques des rôles de genre, comme le rejet de l’homosexualité, l’affirmation du rôle des hommes en tant que chefs de famille et l’obligation pour les femmes de porter un foulard avant de prendre la parole devant une congrégation. De plus, ils refusent de participer aux activités d’autres branches du christianisme, que les Témoins qualifient de « fausse religion ».
ATTEINDRE LES MIGRANTS CHINOIS
Depuis 2008, des groupes de Témoins zambiens étudient intensivement le mandarin parlé et écrit. Au moment de mes recherches sur le terrain entre 2015 et 2019, ces Témoins avaient déjà créé trois congrégations exclusivement mandarines ainsi que deux autres congrégations en formation.
Lors de leurs réunions hebdomadaires, les membres des congrégations de Témoins de Jéhovah de langue mandarine lisent la Bible, chantent des hymnes, donnent des conférences, s’entraînent à évangéliser à travers des sketchs et discutent de l’interprétation biblique, le tout en mandarin. Ils établissent même des liens entre la structure des caractères chinois (hanzi) et les récits bibliques.
Un membre de la congrégation m’a confié que la plupart des migrants chinois qui assistent aux réunions sont « fascinés » par ces convergences. « Ils pensent que leur culture n’a peut-être rien à voir avec la Bible », m’a-t-il dit. « [Mais] toutes les cultures ont des récits similaires à ceux de la Bible. Tous ces récits ont été transmis oralement avant que la Bible ne soit écrite. »
Les migrants chinois avaient tendance à ne pas se sentir à l’aise pour socialiser avec les Zambiens et exprimaient par conséquent un sentiment d’isolement et de solitude.
En discutant avec des migrants chinois, j’ai constaté que leurs réactions à l’évangélisation des Témoins variaient. Notant à quel point la maîtrise du mandarin est rare parmi les Zambiens, certains expatriés chinois se montraient méfiants, se demandant si les Témoins cherchaient un moyen de leur soutirer de l’argent. Des Témoins zambiens m’ont même raconté que, lors de certaines visites à domicile, des migrants chinois se moquaient d’eux en lâchant de gros chiens pour les chasser.
D’autres migrants chinois avec lesquels j’ai discuté ont été profondément touchés par le dévouement des Témoins à apprendre la langue et la culture chinoises, ainsi que par leurs efforts pour nouer des relations amicales d’un type que peu d’autres Zambiens sont prêts à accepter.
COMMUNION, PAS CONVERSION
Pourtant, si l’on en juge par les taux de conversion, les efforts des Témoins ont été vains. Très peu d’expatriés chinois ont rejoint la foi des Témoins en Zambie.
Les migrants chinois avec lesquels j’ai discuté et qui ont assisté à des réunions organisées par les Témoins m’ont dit que le contenu religieux des activités de sensibilisation des Témoins était rarement ce qui les attirait. Au contraire, ces migrants chinois étaient reconnaissants d’avoir l’occasion de socialiser et de se lier d’amitié avec des Zambiens locaux dans ce qui leur semblait être un espace sûr. Compte tenu des différences linguistiques et culturelles ainsi que de la xénophobie dont ils faisaient l’objet, ces migrants avaient tendance à ne pas se sentir à l’aise pour socialiser avec les Zambiens dans d’autres contextes et exprimaient par conséquent un sentiment d’isolement et de solitude.
Les Témoins organisaient des réunions sociales qui semblaient conçues pour répondre à ce type de désirs chez les migrants chinois : partager un dîner, jouer à des jeux, puis, à la fin, projeter un film avec des thèmes religieux subtils.
Lorsque les migrants chinois manifestaient un certain intérêt pour les enseignements des Témoins, c’était souvent en raison des leçons positives qu’ils pouvaient appliquer dans leur vie quotidienne plutôt que de leur foi en un dieu suprême ou en l’autorité biblique. Un migrant chinois avec lequel j’ai discuté et qui estimait avoir des problèmes de gestion de la colère, par exemple, s’est montré intéressé par les récits bibliques qui semblaient offrir une sagesse pratique sur la manière de maîtriser son tempérament.
Lorsque j’ai discuté avec les Témoins de l’apparent manque de succès de l’évangélisation des migrants chinois, même après de nombreuses années passées à essayer de maîtriser le mandarin, ils m’ont expliqué que le succès ou l’échec de leurs actions n’était pas le plus important. Ce qui comptait pour eux, c’était de respecter l’exhortation de Dieu à diffuser ce qu’ils percevaient comme les vérités universelles contenues dans la Bible—que les autres choisissent ou non d’écouter ce message.
Même si leurs intentions ne sont pas toujours les mêmes, ces efforts pour établir des liens au-delà des différences culturelles et linguistiques ont un impact. Cela peut être un petit pas, mais dans un endroit où la xénophobie et le racisme caractérisent souvent ces relations, entrer dans une salle des Témoins et voir des Zambiens et des Chinois partager un repas et discuter ensemble me semble être une bouffée d’air frais—et offre de l’espoir pour l’avenir.





























