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Essay / Crossroads

Comment les sociétés se transforment au fil des saisons

Une anthropologue évolutionniste décrit en détail les changements saisonniers au sein des communautés de chasseurs-cueilleurs—et explique en quoi les structures politiques fixes des sociétés industrialisées constituent une exception dans l'histoire de l'humanité.
Au pied d'un arbre au tronc épais, un homme torse nu tient un tas de végétaux en feu qui dégage un épais nuage de fumée.

Les cueilleurs d’Afrique centrale récoltent le miel de façon saisonnière, souvent en enfumant les ruches pour éviter les piqûres d’abeilles.

Timothy Allen/Getty Images

Si vous demandez à un chasseur-cueilleur BaYaka de la forêt tropicale d’Afrique centrale « Où habitez-vous ? », il vous répondra souvent par une autre question : « Mouanga or Pela? ».

Vous obtiendrez la même réponse à presque toutes les questions concernant leur vie : avec qui vivez-vous ? Qui est la personne en charge de ce campement ? Comment faites-vous le deuil des morts ?

« Mouanga or Pela? » —ce qui signifie « saison sèche ou saison des pluies? ». Le monde social des BaYaka évolue tout au long de l’année. L’emplacement et la taille de leurs habitations, les matériaux utilisés pour les construire, le rôle des chefs, les funérailles—tout change en fonction de la saison.

En tant qu’anthropologue évolutionniste travaillant avec les BaYaka, j’ai d’abord supposé que les gens s’adaptaient simplement en fonction de la disponibilité saisonnière de différents aliments. Mais leurs changements allaient bien au-delà de la simple subsistance et touchaient les domaines de la politique, de l’économie, des rituels et des relations.

Ces changements contrastent fortement avec mes propres foyers au Royaume-Uni et en Espagne, des pays qui semblent enfermés dans des ordres sociopolitiques et économiques fixes. La flexibilité des BaYaka m’a amené à repenser mes hypothèses sur ce qui est « naturel » pour les sociétés humaines, notamment les rôles de genre, les hiérarchies et la taille des groupes sociaux.

Et plus j’élargissais mon regard, plus je me rendais compte que la flexibilité des BaYaka n’était pas une anomalie : c’est la rigidité des sociétés industrialisées et capitalistes qui l’est. À travers l’histoire et la géographie, les sociétés ont restructuré leur vie sociopolitique et économique en réponse aux changements saisonniers—et peut-être pas uniquement en raison de la fluctuation des ressources. Les gens peuvent également le faire parce qu’ils reconnaissent les dangers de la stagnation.

À mon avis, une restructuration régulière permet aux communautés de rester adaptables et résilientes. Pour relever les plus grands défis actuels—inégalités, autoritarisme, crise climatique—il faudra peut-être adopter cette flexibilité comme partie intégrante du tissu social.

CLASSIFICATION DES SOCIÉTÉS

Pendant la majeure partie de leur existence, les êtres humains ont vécu comme des chasseurs-cueilleurs. Aujourd’hui, seul un petit nombre de sociétés dépendent encore de la cueillette. Mais l’étude de la manière dont ces groupes s’adaptent à différents environnements aide les anthropologues évolutionnistes à comprendre comment notre espèce s’est répandue et a connu un tel succès.

À l’instar de nos cousins les grands singes, les chasseurs-cueilleurs humains vivent souvent dans ce que les anthropologues appellent des sociétés « fission-fusion » —des systèmes fluides dans lesquels les groupes se réunissent ou se séparent en fonction de la disponibilité des ressources. Mais pour les chimpanzés, les frontières territoriales et les hiérarchies de dominance rigides limitent les possibilités d’organisation sociale. Les humains, en revanche, peuvent négocier leurs relations grâce au langage, à des conventions communes et à des institutions culturelles. Cette capacité permet des formes de vie sociale plus flexibles—et souvent plus égalitaires.

Deux chimpanzés sont assis côte à côte dans une forêt. Celui de gauche regarde droit devant lui, tandis que celui de droite porte sa main à sa bouche dans un geste pensif.

Les chimpanzés, nos plus proches parents vivants, vivent dans des sociétés composées de plusieurs mâles et femelles. Leurs groupes se caractérisent par des hiérarchies strictes et des frontières territoriales bien définies.

Anup Shah/Getty Images

Bien qu’ils reconnaissent cette flexibilité, de nombreux anthropologues et archéologues ont historiquement classé les sociétés en types fixes. L’un des modèles les plus influents, développé par l’anthropologue américain Elman Service dans les années 1960, proposait quatre catégories: les bandes, les tribus, les chefferies et les États. Dans ce cadre, les petits groupes de chasseurs-cueilleurs mobiles (« bandes ») sont considérés comme la forme la plus élémentaire d’organisation sociale. Avec le temps, les sociétés se développent en tribus, puis en chefferies et enfin en États—devenant au fur et à mesure plus grandes, sédentaires et hiérarchisées. Ces qualités rendent une société plus « complexe », suggère le modèle.

Au fil des ans, nombreux sont ceux qui ont remis en question et contesté ce modèle : aujourd’hui, les manuels d’anthropologie ne le mentionnent plus que comme une note historique, plutôt que comme une leçon sur la pensée actuelle. Mais la logique fondamentale de Service persiste, influençant la façon dont les chercheurs et le grand public ont tendance à percevoir l’histoire humaine : comme une progression linéaire inévitable, de la mobilité à la sédentarité, de l’égalitarisme à la hiérarchie, de la simplicité à la complexité.

Cette pensée apparaît également en archéologie. Lorsque les chercheurs découvrent des changements dans les outils, l’architecture ou d’autres objets archéologiques, ils supposent souvent que les premiers habitants ont été remplacés par des étrangers. Les nouveaux arrivants—« avancés » d’une certaine manière—auraient apporté une structure sociale différente, qui pourrait être classée dans une « étape » ou une autre.

J’avais également intégré ces hypothèses lors de ma première expédition sur le terrain avec les BaYaka. Je suis arrivée dans les forêts tropicales du bassin du Congo en m’attendant à trouver un « type » de société fixe.

CHANGEMENTS SAISONNIERS

Les anthropologues qui ont travaillé avec les BaYaka les ont souvent décrits comme des chasseurs-cueilleurs « égalitaires ». Les rapports des chercheurs indiquent que les BaYaka vivent dans de petits camps mobiles et survivent principalement grâce à des ignames sauvages, du miel et des animaux tels que les singes bleus.

Mais lorsque j’ai rendu visite aux Bayaka en 2023, j’ai constaté une plus grande variation dans leur mode de vie, en fonction de la période de l’année. En février, les communautés vivent en grands groupes près des villages, où elles cultivent du manioc et pêchent. Quelques mois plus tard, lorsque les pluies reviennent, ces campements se dissolvent et des groupes de moins de 15 personnes se dispersent dans la forêt pour récolter du miel, des chenilles et des champignons.

Au milieu d'une végétation dense, quatre femmes tiennent des pots dans un ruisseau.

Le terme « BaYaka » désigne plusieurs groupes de personnes vivant de part et d’autre de la frontière entre la République centrafricaine et la République du Congo.

Olivier Blaise/Getty Images

Ces changements dans les stratégies de subsistance ne se traduisent pas seulement par une modification du régime alimentaire : ils nécessitent une réorganisation sociale complète. Le leadership, la coopération et même la vie spirituelle se transforment au fil des saisons. Des rituels comme l’Ejengi, qui rassemble des centaines de personnes pendant la saison sèche, deviennent des pratiques intimes entre proches et amis pendant la saison des pluies. D’autres rituels, comme l’Eboka, qui commémore la mort d’un proche, n’ont lieu que pendant la saison sèche.

Et les BaYaka ne sont pas les seuls à connaître ces changements cycliques. L’anthropologue français du XXe siècle Claude Lévi-Strauss a documenté les transformations saisonnières chez les Nambikwara, un groupe autochtone amazonien dont le territoire se trouve aujourd’hui au centre du Brésil. Selon Lévi-Strauss, pendant cinq mois chaque année, ils habitaient de grands villages et cultivaient de petits jardins pour se nourrir. Lorsque la saison sèche commençait, ils se dispersaient en petits groupes mobiles de cueilleurs. Ces changements entraînaient également un renversement de l’autorité politique. Pendant la saison sèche, les chefs devenaient des décideurs autoritaires, résolvant directement les conflits. Lorsque les pluies revenaient, ces mêmes chefs ne détenaient plus de pouvoir coercitif. Ils ne pouvaient plus qu’essayer d’exercer une influence par des tactiques telles que la persuasion douce ou les soins aux malades.

De même, au début du XXe siècle, l’anthropologue Franz Boas a observé que les inégalités atteignaient leur paroxysme pendant l’hiver chez les Kwakiutl, ou Kwakwa̱ka̱ʼwakw, un peuple autochtone vivant le long de la côte pacifique de l’actuel Canada. Boas a décrit les villages d’hiver des Kwakwa̱ka̱ʼwakw, caractérisés par des hiérarchies strictes et de grandes cérémonies. En été, ces structures rigides se dissolvaient, les communautés se divisant en groupes plus petits et plus flexibles. Et plutôt que d’agir inconsciemment dans le seul but de s’adapter au climat, les membres de ces communautés étaient tellement conscients de la nature politique de leurs pratiques qu’ils changeaient même de nom lorsqu’ils adoptaient de nouvelles positions sociales pour les cérémonies hivernales.

En parallèle, dans mes pays d’origine et dans beaucoup d’autres, les institutions semblent immuables, ne changeant qu’à la suite de révolutions, de coups d’État ou de guerres.

PERTE D’ÉGALITÉ

En janvier dernier, beaucoup ont été témoins de l’investiture du président des États-Unis Donald Trump, soutenu par trois hommes dont la fortune combinée dépassait celle des 50 % les plus pauvres (plus de 165 millions) de la population états-unienne. Contrairement aux chasseurs-cueilleurs saisonniers, dont les ordres sociaux s’inversent régulièrement, la plupart des habitants du « monde occidental » vivent aujourd’hui dans des systèmes où les inégalités ne cessent de s’aggraver, sans mécanisme intégré permettant de rétablir l’équilibre.

En tant que chercheurs profondément préoccupés par les racines de l’inégalité, l’anthropologue David Graeber, aujourd’hui décédé, et l’archéologue David Wengrow posaient la question suivante dans The Dawn of Everything:

« Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment avons-nous fini par adopter un mode de vie unique ? … Comment en sommes-nous venus à considérer l’éminence et la soumission non pas comme des expédients temporaires, ni même comme le faste et le cérémonial d’une sorte de grand théâtre saisonnier, mais comme des éléments incontournables de la condition humaine ? »

De nombreux chercheurs font remonter les racines de l’inégalité à l’avènement de l’agriculture, affirmant qu’elle a « verrouillé » les hiérarchies sociales. La logique est simple : l’agriculture permet aux gens de s’installer dans un endroit et d’accumuler des surplus alimentaires et d’autres biens, créant ainsi un fossé entre les nantis et les démunis. Les archéologues ont longtemps supposé que cette inégalité émergente coïncidait avec l’apparition de caractéristiques telles que des sépultures élaborées ou de grands monuments. Selon ce mode de pensée, ces structures auraient été construites pour célébrer les personnes puissantes et nécessitaient une autorité centrale pour commander leur construction.

Une rangée de personnes en tenue officielle, réputées pour leur richesse et leur pouvoir, se tient debout, l'air satisfait.

En janvier 2025, des milliardaires, dont Elon Musk, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg, ont assisté à l’investiture de Donald Trump pour son deuxième mandat en tant que président des États-Unis.

Julia Demaree Nikhinson/Getty Images

Mais les vestiges archéologiques racontent peut-être une histoire plus complexe.

Bien avant l’agriculture, pendant la dernière période glaciaire, les gens construisaient déjà de grands édifices. Il y a 18 000 ans déjà, le long de la frange glaciaire allant de Cracovie à Kiev, les chasseurs-cueilleurs construisaient des maisons circulaires à partir d’os de mammouths, des structures que certains archéologues décrivent comme les premières formes d’architecture publique. Il ne s’agissait pas de villages permanents, comme le prouve la présence d’os d’animaux saisonniers. Il semble qu’il s’agissait de sites de rassemblement saisonniers, construits et occupés temporairement lorsque des groupes dispersés se réunissaient pour coopérer, partager des ressources, accomplir des rituels, puis se disperser à nouveau.

Plus célèbres encore, les immenses enceintes de pierre de Göbekli Tepe dans le sud-est de la Turquie (souvent interprétées comme « le premier temple du monde »), ont été construites il y a plus de 11 000 ans par des cueilleurs. Rien n’indique que le site ait été habité de manière permanente ni qu’il ait été le résultat d’un grand bouleversement, comme l’arrivée de nouveaux migrants ou le début de l’agriculture. Tout comme les maisons en os de mammouth, il s’agissait peut-être d’un centre de rassemblement saisonnier construit par des communautés qui se réunissaient temporairement pour créer quelque chose d’extraordinaire—puis repartaient.

Ces cas renversent le discours habituel. Au lieu de supposer que la hiérarchie est le fruit de la complexité, ces sites suggèrent que toutes les architectures monumentales ne nécessitaient pas l’existence d’une classe dirigeante. Pendant une grande partie de l’histoire humaine, les sociétés n’ont pas suivi une seule trajectoire politique—mais ont alterné entre différents modes d’organisation, un peu comme le font aujourd’hui les BaYaka.

Reconnaître la longue tradition de fluidité sociale de l’humanité permet de mettre le présent en perspective : le « monde occidental » n’est pas l’aboutissement d’une marche de 10 000 ans, mais une anomalie dans l’histoire de 300 000 ans d’adaptabilité culturelle de l’ Homo sapiens.

REVENIR À LA FLEXIBILITÉ SAISONNIÈRE

Les êtres humains ont longtemps réussi à restructurer leurs sociétés au gré des saisons, réfutant ainsi l’idée selon laquelle l’inégalité serait une fatalité pour tous.

Mais mon argument n’est pas que les environnements saisonniers ont contraint les humains à rester flexibles et que, par conséquent, sans saisonnalité, la flexibilité n’existerait pas. Il s’agit plutôt du fait que le fait de devoir régulièrement faire face à des conditions radicalement différentes a permis aux gens d’expérimenter divers arrangements sociaux et politiques. À son tour, cette adaptabilité sous-tend la capacité de notre espèce à prospérer dans presque tous les écosystèmes de la Terre.

Comme l’ont également souligné Wengrow et Graeber, les changements saisonniers n’ont pas de schéma fixe. Les rituels les plus importants ont lieu pendant la saison sèche pour les BaYaka et pendant la saison des pluies pour les Nambikwara en Amazonie. Chez les pasteurs Gabbra du nord du Kenya, ce sont les cycles lunaires, plutôt que le climat, qui déterminent les saisons sacrées de Soomdeer et Yaaqa, m’a récemment révélé un ancien.

Une photographie en noir et blanc montre une femme vêtue d'une robe flottante, entourée d'une grande couronne de fleurs. Entrelacés dans la couronne, des slogans proclament « solidarité ouvrière », « production pour l'usage, pas pour le profit » et d'autres valeurs associées à l'égalitarisme et à la coopération.

Dans son illustration emblématique de 1895 pour la couverture du Clarion, l’artiste et socialiste victorien Walter Crane a fusionné des images printanières avec un message de renouveau social fondé sur la coopération et l’abolition des hiérarchies de classe.

Walter Crane/Wikimedia Commons

Même dans les sociétés industrialisées, les échos de cette flexibilité persistent. Prenons l’exemple de la « période des fêtes » dans les pays capitalistes à forte population chrétienne. Pendant la majeure partie de l’année, l’individualisme domine. Mais chaque année, en décembre, le rythme de travail ralentit et les traditions sociales encouragent la générosité, la communauté et les liens sociaux—perturbant brièvement l’ordre social habituel. Historiquement, des renversements saisonniers similaires se produisaient pendant les Saturnales romaines, les carnavals médiévaux en Europe et les célébrations mondiales du 1er mai. Les hiérarchies étaient temporairement bouleversées et d’autres formes de vie sociale étaient explorées.

Les êtres humains ont toujours eu la capacité d’imaginer et de mettre en œuvre différents arrangements sociaux. Prenez deux communautés contemporaines de chimpanzés, leur organisation sociale sera similaire—tant l’une à l’autre qu’aux groupes de chimpanzés du siècle dernier. Comparez des sociétés contemporaines comme celles des États-Unis et des BaYaka, elles ne pourraient être plus différentes. Pourtant, toutes deux représentent des possibilités actives dans l’imaginaire politique humain.

Aucun ordre social n’est inévitable. Aucune structure de pouvoir ou d’inégalité n’est figée. L’adaptabilité définit notre espèce depuis ses origines. Pour les sociétés qui semblent enlisées, retrouver leur flexibilité pourrait être le plus grand défi—mais aussi la solution à leurs afflictions existentielles.

Cecilia Padilla-Iglesias est une anthropologue évolutionniste qui tente de reconstituer le passé des populations africaines afin de mieux comprendre les processus qui ont façonné l’énorme diversité génétique et culturelle observée aujourd’hui sur le continent. Suivez-la sur Bluesky @ceciliapad.bsky.social.

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